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Histoire.
Istor
par Marteville et Varin, 1843 |
>>> Guérande, dans l'ancienne langue celtique, s'écrit et se prononce Guer-ran. Ce nom est formé dus deux mois bretons Guer-rann on Ker-rann. Les français en ont fait Guéraude. Lii Guérandais se dit en breton Guerrannec. Cette ville, fondée par les Romains sous le nom de Grannona, fut aussi appelée Aula Quiriaca. Selon dom Lobineau, ce nom lui vient de Guereck Ier, comte de Vannes, qui y faisait sa plus ordinaire résidence. Son fils Canao, comte de Vannes, la choisit aussi pour la sienne. La position de Guérancle, sur un coteau qui domine l'Océan et l'embouchure de la Loire, au centre d'une contrée riche et populeuse, lui donnne l'apparence d'une petite, capitale, et lui a conservé un reste de supériorité sur les autres villes qui l'avoisinent. Diverses localités venant s'approvisionner à ses marchés, procurent à son commerce de détail une certaine prospérité. La ville possède quantité de boutiques où se trouvent réunies toutes les exigences du confortable moderne. Dans l'organisation de 1790, elle fut chef lieu du district de son nom; aujourd'hui elle est simple chef-lieu de canton, avec une inspection et une recette principale des douanes. — Contre l'usage des autres pays, les prairies occupent ici le sommet de la colline. Les clos de vignes commencent à la base; ils sont les restes des nombreux vignobles qui couvraient autrefois toute la partie basse de la contrée. Du clocher de l'antique collégiale, du haut des tours des vieux remparts et des promenades si belles et si nombreuses pour une petite ville, la vue s'étend sur une perspective admirable. Guérande est encore aujourd'hui une ville de la vieille duchée de Bretagne : ainsi elle devait être, lorsque le duc Jean V la fit sortir de ses ruines. Les mœurs patriarcales de ses habitants, les noms bretons des hameaux et des métairies, la langue bretonne conservée avec un culte religieux dans quelques villages des marais, le costume si pittoresque de sa belle population à la taille élevée et athlétique, tout concourt à produire une complète illusion. L'aspect de la ville, du côté du nord, est triste et mélancolique; ses habitations sont cachées par les remparts. Les arbres des boulevarts, plantés en 1822 par les soins de Mr. le chevalier Louis de Couéssin, alors maire, l'environnent d'un rideau de feuillage, et l'église Saint-Aubin la domine de sa majesté séculaire. A l'est se prolonge le faubourg Saint-Michel, terminé par l'ancien couvent des ursulines, actuellement collège et petit séminaire. A l'ouest, le faubourg Bizienne s'étend jusqu'aux ruines de l'église et du couvent des Jacobins, détruits en 1793. — Considérée des moulins de la place, la partie orientale de la ville est plus agréable et plus imposante. Les ormeaux de la promenade du Mail égaient la teinte sombre des vieux murs, revêtus d'oeillets odorants, de giroflées a fleurs jaunes, et ornés de plusieurs terrasses plantées de chèvrefeuilles et de lauriers a fleurs. La forteresse bâtie par les Romains sous le nom de Grannona occupait le plateau où sont aujourd'hui situés les moulins de la place. L'ancienne ville de Guérande, une des plus importantes cités de la Bretagne, s'étendait jusqu'à cette forteresse, et la renfermait dans ses murailles. Ses habitants, d'abord nombreux, furent réduits à douze mille, puis à sept mille. Ce nombre a depuis successivenent diminué jusqu'à nos jours. Cette ville, plusieurs fois prise et saccagée pendant les longues guerre de la Bretagne, s'est toujours relevée de ses ruines; mais toutes les fois que ses remparts ont été rebâtis, on a rétréci son enceinte. Les belles murailles en pierre de granit qui subsistent de nos jours furent bâties par le duc Jeun V, qui réduisit a ville à son périmètre actuel. Elles étaient flanquées de onze tours; dix sont encore debout; la onzième, la tour sainte-Catherine, a été démolie en 1816. On entre toujours dans la ville par quatre portes placées aux quatre joints cardinaux. Les portes de Bizienne et Saille ont la forme d'un arc-de-triomphe antique. La porte Vannetaise, la plus ancienne, se compose de deux tours en ruine. La quatrième, la porte Saint-Michel, est plutôt a elle seule me forteresse qu'une simple porte; elle est défendue par deux tours élevées et imposantes, et contient les archives, a prison et l'hôtel-de-ville. Lorsque la mer venait battre le pied de la colline sur laquelle est située Guérande, cette ville possédait un port, et le penchant du coteau de Cramaguen était couvert de maisons. Quelques ruines indiquent la place qu'elles occupaient. Ce port, quoique éloigné de 2 kilomètres de la ville, lui était d'une grande ressource pour son commerce et l'exportation des sels; elle le réclame aujourd'hui avec insistance. L'exécution en serait facile et peu coûteuse, puisqu'il ne s'agirait que de creuser dans une vase compacte, offrant peu de résistance aux travailleurs. En attendant qu'elle puisse l'obtenir, la commune s'occupe de faire creuser et élargir le grand étier du Pouliguen, qui se rend au village de Saille. Avec bien peu de dépense, Guérande possédera enfin, an milieu de ses marais, un petit port de caboteurs à 3 kilomètres de distance. Les laboureurs ou métayers demeurent dans les fermes, et cultivent la partie rurale; les paludiers ou cultivateurs des salines ont pour résidence le marais et les villages qui l'avoisinent. Les plus considérables sont, dans la partie est, Careil, Bellon, Mouzac; au milieu des marais, Saillé, Congor; et dans la partie ouest, Quéniquen, Clis, le Haut et le Bas-Trescalan. Le penchant du coteau de Drezeux était autrefois couvert de maisons de campagne appartenant a des négociants du Croisic. Le dimanche, quittant le rivage de l'Océan, ils venaient au milieu de leurs vignobles et sous de frais ombrages se reposer des travaux de la semaine. La plupart de ces petites bastides sont aujourd'hui de simples fermes, ou sont abandonnées. La Turbale, petit port à 7 kilomètres ouest de Guérande, et sur son territoire, est exclusivement habité par des marins. Leur principale industrie est la pêche de la sardine en été, et celle du gros poisson pendant l'hiver. Les pieux servant à amarrer les bateaux pêcheurs sont rangés en ligne le long de la grève : par une convention tacite, et par droit de priorité, ils sont devenus la propriété des familles. II y existe des presses pour la sardine. Des négociants de Nantes ont fondé à la Turbale et dans le voisinage plusieurs établissements de conserves alimentaires dont le poisson est fourni par les pêcheurs turbalais. La plage est magnifique pour les bains de mer. Un service d'omnibus entre Guérande et la Turbale existe pendant la belle saison, pour la commodité des baigneurs. Ce hameau de pauvres pécheurs est en voie d'accroissement et de prospérité. Le port est sûr, l'entrée facile par tous les vents et à toutes les heures de la marée. Une ligne de rochers l'abrite. La construction d'une digue sur cette ligne de roches est d'une indispensable nécessité. Le port actuel n'est plus suffisant pour les besoins du commerce, et ne peut contenir les bateaux pécheurs, dont le nombre augmente tous les ans. Le territoire de la commune, fertile en grains de bonne qualité, ne peut suffire aux besoins de sa nombreuse population. Les landes de la partie nord commencent à être défrichées. Guérande possède une tannerie. On fabrique des toiles de coton appelées basin de Guérande, et une étoffe de laine brune nommée serge. Son vin blanc jouit toujours de son ancienne réputation; il contient beaucoup d'alcool, peut se conserver de longues années, et acquiert de la qualité à vieillir. Bernadoette, aujourd'hui roi de Suède, passant à Guérande en l'an 8, en goûta avec plaisir. Les clos les plus renommés sont situés auprès des marais. Lessac, Careil, Pucel, Mérionnet, Bissin, Villeneuve, Kerfur, Cosquer, Coëtsal, Bogat, Kercabutz, la Chênaie, Cardinal, Cremeur, Kerolland, Lauvergnac, Bréhé, Dreseux, Trévaly, Colveux, la Jalousie, le Grigueny, sont les maisons de campagne qui subsistent encore. Les monuments druidiques conservés sur le territoire de Guérande sont peu nombreux. Dans un champ voisin d'une tour en ruines, qui a servi autrefois de phare, s'élève un menhir de granit, d'une hauteur de 4 m; sa base, un peu arrondie, est d'une circonférence de 4 m. 25 c. — Un menhir de 3 m. se trouve dans un bois taillis de la métairie de Tréveday. — Dans l'espace compris entre Guérande et Saille, à quelque distance du chemin, on remarque parmi les vignes un autre menhir. Comme il se trouve malheureusement dans le tracé de la grande route du Croisic, il sera détruit avant peu. — Dans un champ voisin du village de Kerbour, on rencontre un dolmen et un cromleck; dans le champ du Nain, près le village de Kerlo, un autre dolmen, et près le village de Sandun, un dolmen suivi d'une grotte aux fées. Parmi les nombreux monuments druidiques qui subsistent encore entre la Vilaine et la Loire, ces trois derniers ont été reconnus pour être les plus considérables. Les monuments de Guérande qui offrent le plus d'intérêt sont les vieilles murailles, la porte Saint-Michel et la collégiale de Saint-Aubin, bâtie par saint Salomon, souverain de Bretagne, en 857. Le style des premiers piliers de la nef, d'architecture romane, charges d'informes sculptures, et surmontés d'arceaux en plein-cintre, ne vient point démentir l'ancienneté de cette date. Le chœur et les transsepts, reconstruits par le chapitre dans le style ogival, sont d'une époque plus récente. Lorsque les soldats de Louis d'Espagne incendièrent la ville en 1342, cinq églises furent brûlées; un grand nombre de femmes et d'enfants s'étant réfugiés dans l'église de Saint-Aubin, avec leurs effets les plus précieux, les vainqueurs y mirent le feu. La voûte en pierre, détériorée par les flammes, s'écroula. Depuis elle n'a pas été relevée. On voit dans cette église quelques vitraux assez bien conservés. Ou regrette la perte de son jubé, l'un des plus curieux de la Bretagne. En 1804, à l'époque où l'on répara cette église, pour la rendre au culte, il fut démoli. Il gênait, disait-on alors, la vue du maître-autel. Une chaire en pierre sculptée est pratiquée dans l'épaisseur du mur du frontispice. Cette façade, gothique dans presque toutes ses parties, était autrefois terminée par un élégant clocheton dans le style de la renaissance. Des ingénieurs du gouvernement l'ont fait détruire et lui ont substitué, en 1833, une espèce de laide guérite à jalousies vertes, bien peu en harmonie avec le style de l'édifice. L'église de Notre-Dame-la-Blanche, édifiée par Jean de Montfort eu 1348, et célèbre par le traité qui y fut ratifié entre la France et la Bretagne, le 4 avril 1381, est en partie détruite et sert de magasin. — La ville possède eu outre les chapelles de l'hôpital Saint-Louis et de l'hôpital Saint-Jean (la façade de cette dernière est ancienne et curieuse), et une troisième chapelle dédiée à Saint-Michel, à l'extrémité du faubourg de ce nom. Dans la partie rurale, il existe une chapelle à la Madelainc, avec un vicaire résident; une chapelle à Sainte-Barbe; une chapelle à Careil, dédiée à saint Cado, avec un vicaire résident; une chapelle à Clis, sous l'invocation de sainte Catherine; une chapelle à Trescalan, dédiée à la nativité de la Sainte-Vierge, avec un vicaire résident; enfin, une chapelle à Saille, sous le vocable de saint Clair, évêque, avec un vicaire résident. Ces différentes chapelles ont toujours été vicariales. La chaîne des collines sur laquelle est située Guérande
est granitique. Des dunes de sable, appelées dans le pays la falaise,
couvrent la côte et s'étendent depuis la belle chaussée de Penbron, qui
fait face au Croisic, jusq'auprès de la Turbale et de Brandu. — Ces dunes, ainsi que celles
d'Escoublac, doivent provenir des sables charriés par la Loire. — Dans les carrières de Clis, à 4 kilom. de M. Emile Meresse, docteur-médecin, a employé avec avantage les eaux d'une fontaine ferrugineuse, découverte depuis peu sur la pente du coteau de Cramaguen, à 1 kil. de la ville. En faisant des fouilles on trouve journellement des médailles romaines à l'effigie des empereurs. Les plus anciennes remontent à Tibère. Plusieurs sont en or. Il serait difficile d'assigner une date certaine à l'origine des nombreuses salines qui font la richesse de cette contrée intéressante. Nous l'avons déjà dit, la mer autrefois venait battre le pied du coteau où est situé Guérande, qui avait alors un port et armait des navires de guerre. Cette petite mer intérieure, nommée le Traict, ou plutôt ce Morbihan en miniature, s'étendait sur tout le territoire occupé par les salines; il avait ses îles. La plus grande était Saille, maintenant transformée en un grand et populeux village. L'île de Batz, aujourd'hui la presqu'île du Croisic, lui servait de barrière contre les tempêtes de l'Océan. — Les premiers cultivateurs des marais furent les Saxons. Resserrés dans les étroites limites de l'île de Batz, n'ayant plus, comme leurs pères, les ressources de la mer et des lointaines expéditions, ils se trouvèrent obligés de chercher dans leur industrie des moyens d'existence. A cette époque, la mer commençait à abandonner la plage où sont situées les salines; elle le faisait avec lenteur. Souvent aussi, à l'époque des grandes marées, elle recouvrait ses anciennes limites, et laissait des flaques d'eau sur ce sol glaizeux qui empêche toute filtration. L'action du vent et du soleil pendant les chaleurs de l'été en favorisait l'évaporation; et avant que le flot ne revînt à la même hauteur, on ramassait sur la grève le sel cristallisé. Les Saxons, industrieux et actifs, perfectionnèrent cette découverte; ils établirent des salines d'essais dans les criques elles petites baies de la côte. Peu à peu ils en reculèrent les bornes, et de nos jours ils n'ont laissé à la mer que les sables du grand Traict. où la culture du sel est impossible. C'est ainsi que les îles de Batz et de Saille se sont trouvées jointes à la terre ferme. Les descendants des Saxons, devenus paludiers, ont successivement peuplé l'île de Saille et toute la côte, depuis Careil Queniguen jusqu'à Clis et Trescalan. Et, de même que les Juifs, ils y ont perpétué sans mélange leur type originel. On les retrouve à Mesquer, a Pont-d'Armes. Plus tard, des colonies de ces hommes laborieux ont fondé des marais salants à Séné, dans le golfe du Morbihan, et sur le littoral de l'île de Rhuys. Mais, dans ces diverses contrées, le type du paludier s'est fondu avec celui de la population primitive. La saline est un relai de mer disposé peur la cristallisation du sel : la forme et l'étendue n'en sont presque jamais les mêmes. La saline a pour accessoire la vasière ou réservoir d'eau de mer, et le gobier, qui sert a préparer cette eau avant de la faire entrer dans la saline, qui se subdivise elle-même en œillets, fares, adernes et appartenances. Ces divers compartiments, séparés par de petites digues hautes de trente centimètres, sont fermés par de petites planches verticalement placées; elles servent aux paludiers a retenir les eaux nourricières, et à les répandre dans les œillets ou bassins évaporatoires. Les œillets occupent le milieu de la saline; ils sont rangés sur deux lignes parallèles, et séparés par un étroit canal profond au plus de quinze centimètres. Les servitudes occupent le reste de la saline. L'eau de la mer, chauffée et préparée par l'action du vent et du soleil, en parcourant les sinuosités des canaux nourriciers, des fares, des adernes, des appartenances, est introduite dans l'œillet à la hauteur de sept centimètres. Le sel blanc, semblable à une glace, se forme à la surface; le sel gris, ou gros sel, se dépose dans le fond de l'œillet et se recueille sur de petits plateaux ménagés au centre et nommés lasures. Il y reste jusqu'à ce qu'il soit amulonné. Une planche nommée laz, longue de cinquante centimètres et large de quinze, à laquelle on adapte un manche de cinq mètres, sert à recueillir le sel. Une lousse ou pelle plate en bois, une baguette ou pelle concave en bois, sont les seuls outils employés par le cultivateur des marais. Le paludier prélève pour son travail le quart de la récolte. Le reste appartient au propriétaire, qui est chargé de l'impôt foncier et des grosses réparations. En 1840, l'année ayant été favorable, on a trouvé que chaque œillet, en prenant un terme moyen, a produit vingt doubles hectolitres, c'est à dire un muid pesant environ trois mille kilogram. — La partie du territoire de Guérande connue sous le nom de marais au nord, qui s'étend depuis Pornichet jusqu'au Pont-d'Armes, contient trente-six mille œillets, qui ont fourni ensemble cent huit millions de kilogrammes de gros sel, non compris le sel blanc. Année commune, on peut évaluer à quinze doubles hectolitres la récolte d'un œillet. Le gouvernement prélève 3 décimes par chaque kilogramme de sel enlevé, ce qui lui donne sur chaque muid de sel un revenu de 900 fr. On peut donc dire sans exagération que le seul territoire de Guérande pourrait produire par année, en droit sur le sel, 32,400,000'. Dans cette énorme somme ne sont pas comptés la contribution foncière des marais et les autres impôts directs et indirects qui pèsent sur la localité. Année commune, la douane prélève habituellement de 13 à 14 millions. C'est déjà un revenu assez raisonnable pour un aussi petit territoire, et cependant le gouvernement ne fait rien pour cette contrée intéressante (1). Le docteur Emile Meresse propose d'établir un canal de jonction entre le Croisic et le Pouliguen. Un embranchement traversant le marais par le milieu serait dirigé sur Guérande. Pour son exécution, il demande à chaque propriétaire de s'imposer volontairement pendant un temps donné. Pourquoi le gouvernement ne viendrait-il pas au se- ------------- (1) Nous extrayons d'un rapport fort intéressant fait à la société académique de Nantes, par M. Lorieux, le 4 mars 1840,l a courte notice ci-dessous, relative au commerce du sel, et qui vient compléter ce que dit M. de Francheville. L'exploitation des marais salants est une des principales industries du département de la Loire-Inférieure. Ces marais sont pour la plupart situés entre la Vilaine et la Loire. Cependant il en existe quelques-uns dans le canton de Bourgneuf. Le total des œillets ou aires de marais salants est, dans ce canton, ainsi que dans ceux de Guérande et du Croisic, de 35,601, occupant une superficie de 2293 hect. 64 ares. Une ligne de douanes entoure tout ce terrain. Nulle quantité de sel ne peut eu sortir sans déclaration préalable; mais dans l'intérieur, que l'on appelle, en style de douane, le grand marais, la circulation en est libre, et les habitants sont exempts de tout droit sur cette denrée. C'est donc à ce petit territoire que se trouve restreint aujourd'hui le privilège de franc salé, qui jadis s'étendait à toute la Bretagne. Un œillet de marais salant est d'environ 7 ares; les aires, mesure de Bourgneuf, ne sont que de 4 ares. Rien n'est plus variable que le produit de cette industrie. Un calcul fait sur la récolte de vingt années de quatorze bons œillets donne pour minimum 0 (en 1828), et pour maximum 742 hect. (en 1825). Le prix de vente de l'hectolitre varie aussi : le minimum est de 67 c. et le maximum de 2 fr. 30 c. Enfin le produit net, par œillet, déduction du quart, qui est le seul bénéfice accordé au paludier ou cultivateur de marais salants, des contributions foncières, etc., a été de 3 fr. 34 c. en 1829 (année la plus faible après 1828), et de 32 fr. 51 c. en 1825. Le prix du sel dépend de sa qualité. Généralement, le vieux est plus cher, parce que, pendant le temps qu'il reste sur terre, le sel marin se dépouille des autres sels déliquescents qu'il contient, et diminue de poids. A Mesquer, au contraire, le sel nouveau se vend mieux. Cela vient de ce que le sel, sur les marchés, se vend à la mesure, et que l'on perçoit l'impôt au poids. Or, le sel de Mesquer est léger quand il est nouveau, et l'on conçoit l'avantage qu'il procure à ses acheteurs. Nous avons dit que le cultivateur des marais salants ou paludier avait le quart de la récolte. Cette quotité serait insuffisante pour le faire vivre, s'il n'avait un grand nombre d'oeillets à faire valoir, et s'il n'employait comme ouvriers sa femme et ses enfants; enfin s'il ne faisait lui même le commerce de sel, et n'allait pendant l'hiver le vendre dans les campagnes. Ceux qui se livrent à cette autre industrie s'appellent saulniers. Les uns et les autres descendent, dit on, d'une colonie de Saxons qui, pendant le cours du IVè siècle, vinrent s'établir dans la presqu'île de Batz, et auxquels, suivant Travers (Hist. des év. de Nantes, t.1, p. 70 ), saint Félix administra le baptême vers l'an 550. Le privilège du franc salé n'est pas le seul que les paludiers aient retenu; ils ont encore celui de la troque. La troque est la faculté accordée à chaque paludier de troquer; c'est-à-dire d'échanger, en franchise de droit, une certaine quantité de sel, à charge de rapporter dans sa commune une quantité de grains équivalente. Ce privilège, accordé par lettres-patentes de 1644, et bien envié aux paludiers, avait été aboli eu 1806. L'industrie du sel en ayant reçu un coup sensible, on revint au privilège primitif; mais on l'etendit beaucoup trop, en accordant à tout paludier, tant pour lui que pour sa femme et ses enfants, la faculté d'exporter en franchise de droit, et par tête, 100 kilog. de sel. Quoi qu'il en soit, il y a actuellement 5,881 individus admis au privilège de la troque ( voy. le détail aux diverses communes où l'on fait du sel ), ce qui constitue pour les paludiers une remise de droit de 161,727 fr. Les marais salants de la Loire-Inférieure livrent à la consommation, année moyenne, 56.784,240 kilog. de sel. Dans certaines années, on en a expédié jusqu'à 4,180,000 pour la grande pêche, 1,185,000 pour la petite pêche, et 24,000,000 par cabotage. A.M. ---------------------- - cours de cette utile entreprise ? Les avantages en seraient incalculables. Le sel pourrait passer dans les navires sans être assujéti à des trajets onéreux; la facilité des moyens de transport lui donnerait une valeur plus grande et attirerait les bâtiments étrangers; Guérande obtiendrait le port qui lui est si nécessaire, et sa laborieuse et patiente population n'aurait plus à craindre la misère, qui la menace d'une ruine prochaine. Les paludiers guérandais ne ressemblent aucunement à leurs voisins les métayers, avec lesquels ils vivent dans une perpétuelle mésintelligence. Le métayer guérandais est grand, fort, carré et robuste; mais il l'est moins que le paludier. Il a les yeux et les cheveux noirs. Les femmes sont lestes, pimpantes, bien faites et jolies; elles sont remarquables par leur blancheur et par la modestie et la douceur de leur physionomie. Le paludier est plus généralement blond que châtain. Il est de haute taille, bien fait et robuste; il a la tête forte, les traits aquilins, l'angle facial très-prononcé. Mais un fait digne de remarque, et qu'il est nécessaire de mentionner, c'est que sa stature est sensiblement moins élevée qu'avant la révolution de 93. Les paludières, exposées pendant les chaleurs de l'été aux ardeurs d'un soleil brûlant, conservent une peau blanche et vermeille; leur taille est élancée, leur démarche aisée et facile. Ce peuple est bien une colonie venue du nord, et malgré son mélange avec la race celtique, tout prouve la vérité de la tradition, qui le fait descendre de ces aventureux Saxons, terribles précurseurs des pirates normands. Les paludiers guérandais n'ont point conservé les inclinations ni l'esprit aventureux de leurs ancêtres, qui, dans de frêles barques d'osier, bravaient les flots et les tempêtes. Quoique braves, ils détestent l'état militaire. Voyageurs, et habitant les rivages de l'Océan, ils ne sont ni pêcheurs ni marins. Actifs, intelligents, laborieux, leur probité est proverbiale. Sobres dans leurs ménages, ils sont endurcis aux plus rudes travaux. Lorsque les marais ne réclament plus leurs soins, pour un modique salaire, ils entreprennent, avec leurs mules, les plus longs voyages au milieu des hivers les plus rigoureux. Comme le muletier espagnol, ils passent la plus grande partie de l'année en voyage. Les grands seigneurs d'autrefois, lorsqu'ils allaient à l'armée, confiaient leurs équipages de guerre à des paludiers de Guérande; c'était un luxe de nos pères : ils savaient pouvoir compter sur la fidélité de ces arriéros bretons. Presque tous savent lire et écrire. Ne pas savoir faire un compte, c'est un déshonneur parmi eux. Leurs maisons sont couvertes en ardoises, et ornées de fenêtres vitrées et peintes. L'intérieur, bien meublé, est tenu avec une propreté hollandaise; propreté que l'on remarque sur leurs vêtements et sur leurs sarreaux de travail, qui sont toujours de la plus grande blancheur. Au milieu d'une contrée toute française, plusieurs villages parlent la langue bretonne; mais l'île de Batz est la partie du marais où la population est la plus belle, et où les vieilles mœurs et les antiques coutumes se sont le mieux conservées.— Jamais il n'existe de bail entre le propriétaire et le paludier. Les mêmes salines sont cultivées depuis des siècles par les mêmes familles. Les propriétaires changent, les paludiers restent, et les pères, regardant en quelque sorte les marais comme leur propriété, en font le partage entre leurs enfants. Les paludiers, riches sous les franchises bretonnes, sont tombés, depuis l'impôt du sel, dans une profonde misère; ils la supportent avec dignité, et la cachent sous les apparences de l'aisance. Il est à craindre que cette souffrance n'augmente encore, par suite du retrait de l'ordonnance du roi du 30 avril 1815, qui accordait à chaque saunier, ou paludier, à sa femme et à ses enfants, le privilège de l'extraction annuelle, en franchise de droit, de 100 kilog. de sel. — Le costume des Guérandaises habitant la ville est remarquable par son élégance; il a été peu à peu adopté par le reste du département. Rien n'est gracieux et joli comme une jeune Guérandaise en toilette du dimanche, portant le mouchoir coquettement drapé, le tablier à piécette, et la grande catiolle à dentelles aux barbes relevées, cette ancienne coiffure nationale de presque toutes les villes de la Bretagne. Les jours de grande tenue, la coiffure des métayères et des paludières est à peu près la même; mais le reste du costume diffère dans la coupe et dans la couleur des étoffes. Les paludières portent de petites coiffes en batiste, à fond étroit et plissé; les barbes, petites, s'attachent sous le menton dans les jours ordinaires, et sont flottantes en costume de cérémonie. Les cheveux, divisés en deux tresses, et entourés à distances égales d'un ruban de couleur blanche appelé serrant, sont relevés sur le front en forme de couronne. Un serre-tête en tulle brodé, garni de dentelles, laisse voir le serrant et les cheveux. De larges manches rouges, une robe d'étoffe blanche pour la jeune fille, de couleur violette avec garniture en velours pour la femme mariée, des bas rouges à fourchette, un tablier à reflets changeants, une piécette d'étoffe éclatante brochée d'or ou d'argent, une ceinture appelée livrée, de même étoile que la piécette, voilà le costume de la paludière. — Les paludiers portent le bragou braz bas-breton, ample et plissé, en toile blanche, des guêtres blanches, des souliers jaunes, deux gilets de drap blanc, un troisième bleu avec des bandes vertes, et un quatrième gilet rouge, ou chupenn, plus court que les trois autres. Pour le travail et les voyages, ils s'habillent d'un sarreau de toile blanche de forme particulière. Lorsqu'ils assistent à des enterrements, ils se drapent dans un petit manteau noir, et les femmes s'enveloppent d'une demi-mante en laine noire revêtue d'une toison longue et fournie. Le costume des métayers est le même que celui des paludiers, sauf la couleur des étoffes. Leurs chupenns et leurs gilets sont bleus, leurs bragous de couleur brune, et leurs chapeaux petits et ronds. Celui des paludiers est à larges bords relevés des deux côtés. Ces deux costumes ont du reste beaucoup d'analogie avec ceux des environs de Quimperlé. A Guérande, les noces se font à l'auberge. Chaque invité paie son écot. Un dessert est offert à la mariée par les jeunes filles, qui vont la chercher à travers la ville au son du bignou. Cette cérémonie, faite avec tout le décorum possible, est rendue quelquefois très pittoresque par la variété, l'étrangeté et l'élégance des costumes. Le maître de l'auberge fait présent d'un chapeau au marié, d'une coiffe à la mariée. Les convieuses allant inviter pour la noce reçoivent dans chaque maison des petits cadeaux de laine, de filasse, d'argent, d'ustensiles de ménage; coutume bien sage, qui empêche les familles de se ruiner pour vouloir afficher un trop grand luxe. Ici la noce du pauvre est aussi brillante que celle du riche : un jour du moins dans sa vie il peut se croire son égal. — Les paludiers du village de Saille, soit qu'ils célèbrent leurs noces a Guérandes ou dans leur village, se rendent toujours à l'église monté sur leurs mules. Le marié et la mariée marchent en tête sur la même mule. Chacun des conviés, placé sur sa mule, couverte de son bât revêtu d'une draperie blanche, est posé sur le devant et porte en croupe, assise sur le côté, une jeune paludière qui se tient à son cavalier en lui passant un bras autour du corps. Ce cortège est des plus pittoresques; et, ainsi que celui de la promenade du dessert, il demanderait à être reproduit par les pinceaux d'un Dévéria ou d'un Léopold Robert. Pendant les longues guerres de la Bretagne, Guérande a soutenu de nombreux sièges; ses remparts deux fois renversés, ses édifices réduits en cendre, ses habitants massacrés, prouvent en faveur du courage de ceux-ci. A l'époque des guerres de la Ligue en Bretagne, pendant qu'une flotte espagnole, sous le commandement de don Diego Brochero, abordait les côtes du Blavet, don Juan d'Aquila, le 12 octobre 1500, débarquait avec cinq mille soldats à l'embouchure de la Loire, non loin de Guérande. Le sir d'Arradon, le zélé ligueur, vint aussitôt les joindre pour les conduire à Vannes. Quelques soldats de ces vieilles bandes castillanes sont restés dans le pays. Entre le village de Brandu et Piriac, on reconnaît leurs descendants à leur physionomie méridionale et à leurs noms d'origine espagnole. Il était dans les destinées de Guérande de soutenir un siège toutes les fois que la guerre éclaterait en Bretagne. Le 18 mars 1793, une division de l'armée royale de Bretagne, forte de sept à huit mille hommes, força la porte de Saille et s'empara de Guérande. Huit jours après le général Besser, arrivé de Lorient avec quatre cents hommes, trouva cette ville évacuée par les royalistes et l'occupa à son tour. Le 7 juillet 1815, l'armée royale de la Loire-Inférieure (rive droite), dont les principaux chefs étaient Guérandais, se présenta devant Guérande. L'attaque dura tout un jour. La ville fut bien défendue par une garnison de troupes de ligne renforcée par les brigades de la douane. Les royalistes, craignant d'exposer aux horreurs d'un siège prolongé une population qui leur était dévouée, se retirèrent dans la nuit. Le lendemain de l'attaque, un régiment de la jeune garde impériale, sorti de Nantes à la hâte, entra dans ses murs pour renforcer la garnison. Les habitants de Guérande se font toujours remarquer parleur urbanité, leur bonté et leur courage; ils sont très-attachés à leur pays, ils le quittent avec regret, et y reviennent avec joie et plaisir. Il serait difficile de trouver, même en Bretagne, dans une ville aussi petite, une société mieux choisie et de meilleures manières. Plusieurs familles d'ancienne noblesse bretonne ont continué à l'habiter. Guérande, à toutes les époques, a fourni d'excellents officiers de terre et de mer. Il en est de même de nos jours; les jeunes gens suivent l'exemple de leurs pères, et embrassent de préférence la carrière des armes. Plusieurs jeunes officiers de cette ville, pleins de talent et d'espérance, sont déjà morts en servant leur pays. Les uns ont succombé sur les côtes dangereuses de la Sénégambie, en levant le plan de ses écueils, les autres ont été frappés sons les remparts de Constantine. Ceux qui vivent encore combattent en Afrique et se font distinguer au milieu de notre brave armée. Je citerai entre autres le nom connu du jeune et habile général Alphonse de Bedeau, qui est Guérandais. Amédée DE FRANCHEVILLE. |