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Robida. 1890 |
p. 319 : La vieille reine gothique de ce coin de terre si intéressant par ses aspects originaux et par ses populations, montre là-bas au-dessous de larges plans verdoyants et de belles masses d'arbres, ses toits, ses pointes de tours et la flèche de son église. Lorsqu'on a traversé le Marais par la belle route qui gravit après Saille les escarpements hérissés d'antiques moulins de pierre, on se heurte tout à coup à de vieux remparts à mâchicoulis dominant ici des fossés où l'eau dort sous les plaques vertes, bordant là des promenades solitaires aux grands vieux arbres. Ceinture d'épais feuillages et ceinture de murailles revêtues de lierre et de broussailles, c'est le double corset de Guérande, que cette vieille ville n'éprouve pas le besoin de rejeter. Guérande a conservé toute l'enceinte construite au xvè siècle après les guerres civiles par le duc Jean V, presque toutes ses tours et ses quatre portes, la porte du faubourg Bizienne, la porte de Saille, la porte Vannetaise, peu importantes et la porte Saint-Michel, solide châtelet montrant sur la campagne deux grosses tours rondes à mâchicoulis et créneaux. Derrière ces murailles se cache la petite ville serrée autour de son église Saint-Aubin, la petite cité bien calme, bien tranquille, bien endormie, aux petites maisons basses, aux vieux hôtels un peu déjetés sous le poids des ans, dressant des façades jaunies ou noircies sur des cours silencieuses avec des pointes de tourelles dépassant les vieux toits d'ardoises et les feuillages échevelés des jardinets; quelques rues entre-croisées allant d'une porte à l'autre, quelques ruelles tournant derrière le rempart forment toute la ville. On a un peu surfait, depuis la description célèbre de Balzac, son aspect moyen âge, ce n'est en réalité que du moyen âge assez modeste. L'église Saint-Aubin est un bel édifice, qui porte la marque de plusieurs époques ; à l'intérieur, dans la nef d'un bel effet, se remarquent quelques vieux chapiteaux romans historiés de diableries, quelques détails de sculptures et un enfeu seigneurial. Le portail du xvè siècle restauré depuis la chute, en 1876, d'une flèche de pierre récemment élevée, montre à droite de la porte la chaire extérieure pratiquée dans l'épaisseur de l'un des contreforts, une jolie tribune non encorbellée sous un abat-voix sculpté formant un dais à trois faces trilobées. Outre cette vaste église Saint-Aubin, Guérande possède un autre édifice gothique beaucoup plus petit, la chapelle Notre-Dame la Blanche, restaurée de nos jours et rendue au culte après avoir été longtemps magasin à fourrages. L'antique Guérande, s'il n'est pas prouvé qu'elle succède à la ville des Venètes, Veneda ou Gwen, la ville Blanche que l'on veut voir un peu plus bas sur le coteau, n'en a pas moins des annales très chargées. La ville primitive périt au temps des invasions de pirates Scandinaves qui, pendant des siècles peut-être, trouvèrent dans les îlots rocheux de cette fin de Loire des citadelles très sûres d'où ils pouvaient s'élancer pour porter au loin leurs ravages. Si longtemps établis sur cette côte, en colonies pacifiques ou bien en bandes de piratzq, les Scandinaves laissèrent de leur sang parmi les populations bretonnes et ces grands paludiers blonds aux yeux bleus des villages du sel, isolés au milieu d'une race brune plus petite, descendraient, parait-il, d'une colonie de ces hommes du nord. Guérande fut rebâtie au sommet du coteau. Au commencement de la grande guerre civile, en 1342, la ville tenant pour Montfort se vit assiégée par une armée de routiers-pirates espagnols et génois, commandés pour Charles de Blois, par Louis d'Espagne. Après plusieurs assauts infructueux, les assiégeants s'emparèrent enfin des brèches et, dans la fureur de l'assaut, massacrèrent tout ce qu'ils trouvèrent de vivant devant eux, boutèrent le feu aux maisons et aux églises où s'étaient réfugiés les femmes et les enfants. La malheureuse Guérande n'était pas tout à fait morte, bientôt ses églises furent reconstruites, ses fortifications rasées se relevèrent et elle put de nouveau recevoir bravement toute attaque. Ce fut dans son église Saint-Aubin qu'après la bataille d'Auray les représentants des deux partis, les seigneurs et évêques de Bretagne réunis en un congrès solennel, signèrent le traité qui mit fin à la longue guerre civile. Les murs de Guérande eurent encore maints assauts à soutenir, mais à côte du terrible siège de 1342, ce ne furent qu'algarades sans conséquence. Le grand Glisson, au cours de ses luttes contre le duc Jean V, ne parvint pas à les forcer. Quand les Français assiégèrent Nantes, dans la guerre qui se termina par l'incorporation du duché à la France, Guérande envoya au secours du duc François cinq cents hommes déterminés portant sur leur hoqueton la croix noire de Guérande. Conduits par Dunois, les Guérandais s'ouvrirent un passage à travers les lignes françaises et, se jetant rudement en avant à toutes les attaques, conquirent pour leur ville un grand renom de courage. Quelques débarquements espagnols repoussés, quelques troubles pendant la Ligue, sont les seuls événements importants de l'histoire de Guérande jusqu'à la révolution. En 93, elle est prise par les royalistes et occupée pour quelques jours et les derniers coups de canon qu'elle entend sont tirés par une attaque roya liste pendant la petite chouannerie de 1815. Mais ceci se passait hier et j'ai connu, il y a quelques étés seulement, un blanc paludier d'un des villages du bourg de Batz, un fidèle des vieux costumes et des vieux souvenirs, qui me raconta l'arrivée à Batz de Messieurs portant cocarde blanche avec quelques vieux chouans de la grande guerre, le soulèvement des gars du Marais et leur marche sur Guérande avec deux canons pris à une petite redoute élevée sous l'Empire à la pointe de Penchateau, puis les pièces mises en batterie devant la porte Saint-Michel, royalistes et soldats de l'intérieur tiraillant pendant toute une journée... Dans la petite Grande-Rue conduisant à cette porte Saint-Michel, robuste construction servant aujourd'hui d'hôtel de ville et de prison, dans cette rue très peu animée d'ordinaire, voici ce que l'on peut voir quand un paludier de Saille prend femme : Un cortège précédé d'un violoneux, hélas! dans le plus vulgaire des costumes, s'avance et va s'éparpillant de boutique en boutique. Tous les gens de la noce ont arboré les beaux habillements de cérémonie ; ce sont les paludiers rouges et les paludières multicolores vus à l'église à la messe du 15 août. Ils sont venus dans Guérande acheter les cadeaux pour les mariés ; par groupes dans les bou tiques, ils se chargent de pièces de toile ou de drap, vaisselle, batterie de cuisine, boisseaux à mesurer le sel, une grosse commère parée comme une châsse marchande une horloge..... Quand tous les achats sont faits, chacun portant son cadeau, le cortège se reforme derrière un gaillard qui brandit, accrochés à un balai, une quantité de menus ustensiles et la noce s'enfonce sous la porte Saint-Michel pour gagner une des auberges du faubourg où le vin chaud est préparé. Mais le violoneux fait grincer son archet devant l'auberge pleine de tumulte; à ce bruit, laissant discourir les vieux, toute la partie jeune de la noce se lève. La mariée en robe violette, avec devant de corsage en cuirasse dorée très bombée, cocardes et nœuds de rubans violets à la ceinture, croix et chaînes d'or sur la grande collerette prend la tête d'une ronde avec les demoiselles et les garçons d'honneur. Sur l'esplanade devant la porte Saint-Michel, vestes rouges et grands chapeaux, robes de toutes les couleurs tournent en cadence, peu à peu tous sont venus se joindre à la ronde qui s'anime et se déploie comme un grand serpent aux mille couleurs sous les vieux remparts sombres. Le crin-crin fait, rage, une voix aiguë de femme chante les innombrables couplets des vieilles et interminables rondes que toutes les voix accompagnent aux refrains. Enfin quand, après une heure ou deux de rondes chantées, tout le monde est essoufflé, la chaîne diminue et se dénoue, chacun se dirige vers les carrioles remisées dans un coin au pied des tours, et bientôt toute la noce à la file descend au grand galop la côte de Guérande entre les moulins dressant leurs ailes sombres au-dessus du vaste Marais. Et la vieille porte Saint-Michel et la promenade solitaire
du tour de vills retrouvent leur tranquillité habituelle, collines
boisées, murailles enlierrées et grands toits mousseux dépassant le rempart,
dorés par les rayons d'un soleil qui décline et tombe peu à peu là-bas derrière la
Grande-Côte, par delà les dernières roches bretonnes, dans la mer éblouissante.
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