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Saint-Efflam

Sant-Efflam

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Carte de Cassini

 

La plage de Saint-Efflam et la pointe de l'Armorique, prises du haut du grand Rocher Trazhenn Sant-Efflam ha beg an Arvorig, tennet eus krec'h Roc'h Helles.

* Ogée, vers 1780 : "L'an 480, saint Eflam, arrivant d'Irlande, sa patrie, en Bretagne, bâtit pour la première fois la chapelle de son nom, qu'on voit aujourd'hui au bord de la grève. On assure que le saint descendit de son bateau précisément dans l'endroit où est plantée la croix que le mer couvre à toutes les marées. Le pays n'était alors qu'une vaste forêt, dans laquelle ce saint établit un ermitage qui, dit-on, était l'endroit où est la chapelle; il y mourut le 6 novembre 512. 

L'an 984, Geoffroi Ier, duc de Bretagne, fonda l'église paroissiale de Plestin, et lorsqu'elle fut achevée de bâtir, en 992, Paul, évêque de Tréguier, leva la corps de saint Eflam, et le déposa dans cette église, dont il est le patron : on y voit son tombeau un peu élevé hors de terre, et entouré d'une grille de fer".

 

La Lieue de Grève et le Grand Rocher (rouge) Al Lev-Draezh hag ar Roc'h Helles

* Chevalier de Fréminville (1837) : 

Lorsqu'on passe du Finistère dans les Côtes-du-Nord, en suivant le littoral que baignent les flots de la Manche, on trouve d'abord une vaste plage de sable appelée communément la lieue de grève. Cette dénomination est ici plus exacte que celle, toute semblable, que porte la plage de sable que traverse la route de Lanvéoc à Quimper sur la baie de Douarnenez , et qui n'a à peine que mille toises d'étendue. La lieue de grève , dont nous parlons ici, a bien réellement une lieue de l'Ouest à l'Est depuis la fontaine de St. Efflam jusqu'au village de Saint-Michel-en-grève, situé à l'extrémité opposée. Ses rivages nous rappellent des traditions importantes et qui doivent nécessairement trouver leur place dans cet ouvrage.

Ce fut en ce lieu qu'aborda , venant d'Irlande, St. Efflam, l'un des premiers anachorètes chrétiens dans l'Armorique; sa légende, très-curieuse, présente, ainsi que toutes celles des Saints Bretons de la même époque , un singulier mélange de la vérité avec le merveilleux; on voudrait sans doute pouvoir écrire l'histoire d'après de meilleurs documents , mais il n'en existe pas de plus authentiques pour les annales des premiers siècles de la Bretagne, et faute de mieux on doit considérer ces légendes comme des matériaux précieux, puisqu'ils sont les seuls qui puissent jeter quelques lumières sur des temps éloignés et des traditions qui deviennent chaque jour plus vagues, plus incomplètes et plus obscures.

St. Efflam, fils et unique héritier d'un roi d'Irlande au cinquième siècle, naquit, à ce que l'on croit, en l'an 448. Son aïeul et son père soutenaient, depuis long-temps, une guerre sanglante et opiniâtre contre un des rois Saxons de l'Heptarchie; les succès étant balancés de part et d'autre, l'avantage ne demeurait à aucun des deux partis, et la lutte se continuait entre princes avec un égal acharnement et effusion de sang humain. 

Lassés enfin d'en répandre inutilement , et touchés des maux qu'attirait sur leurs sujets ce long état d'hostilités, le roi d'Irlande et son adversaire résolurent de mettre un terme à ces calamités en concluant une paix durable. On convint quelle serait cimentée par l'union du jeune prince Efflam avec la princesse Honora, fille du roi Saxon, et tous deux furent fiancés en attendant qu'ils eussent atteints l'âge nubile.

Mais le jeune Efflam, malgré sa grande jeunesse, manifestait déjà des inclinations sérieuses et un penchant à la dévotion méditative, qui ne le disposaient guère a répondre aux vues politiques qu'on avait conçues à son égard. Édifié par l'exemple de quelques pieux cénobites chrétiens qui, depuis un demi-siècle environ, avaient pénétré dans l'Hybernie, il se plaisait comme eux à la prière, à l'abstinence, a faire l'aumône et autres exercices de piété. Non seulement il s'y livrait avec ardeur, mais encore il sut inspirer les mêmes penchants aux jeunes seigneurs compagnons de ses jeux et de ses études.

Cependant il atteignit, ainsi que sa fiancée, l'âge d'adolescence; le roi son père, envoya chercher en Angleterre la princesse Honora, et dès qu'elle fut arrivée à sa cour, il déclara à son fils qu'il eût à se disposer à recevoir sa main, comme gage du traité de paix qui devait garantir désormais le repos de son royaume et le bonheur de ses sujets. Efflam qui avait résolu de consacrer sa vie à Dieu, fut consterné de celte déclaration, mais il n'osa désobéir à son père.

Il prit, pour éluder ses ordres, un parti difficile mais dont il se tira avec succès. Il consentit à épouser la belle Honora : leurs noces furent célébrées avec toute la pompe et le luxe que l'époque permettait de déployer en pareilles circonstances. Mais Efflam déterminé à suivre sa vocation et à conserver sa virginité, se décida à prendre la fuite avec ses compagnons les plus dévoués, s'il ne pouvait faire résoudre son épouse à suivre le même parti, se vouer au culte des autels et vivre chastement ensemble ainsi qu'un frère avec une sœur. Il fit en conséquence préparer secrètement un vaisseau pour s'y embarquer au besoin et fuir la cour du roi son père.

Conduit au lit nuptial, près de sa jeune épouse, il chercha à lui persuader qu'il fallait vivre saintement ensemble, en se bornant l'un envers l'autre à une affection toute fraternelle; mais Honora, que la bonne mine et les grâces de son époux avaient touché tout différemment, se trouva fort peu disposée à consentir à un pareil genre de vie. L'éloquence du pieux Efflam ne la persuadait nullement. Elle l'écoutait avec distraction, et son long sermon finit par l'endormir. Le prince voyant alors l'inutilité de sa faconde, craignant aussi de finir par succomber à une tentation trop forte, se leva sans bruit, se déroba du palais, courut au port où l'attendaient ses disciples et s'embarqua promptement avec eux , faisant voile aussitôt, sans tenir d'autre route que celle où il plairait à Dieu de les guider. 

La providence les conduisit sur les côtes du diocèse de Tréguier en Bretagne, et ils abordèrent sur une vaste plage de sable (la lieue de grève), de la paroisse de Plestin, ils mirent pied à terre sous une roche escarpée appelée encore aujourd'hui Roc'h hyr glas (1). A peine la troupe dévote avait-elle débarqué, qu'elle fut épouvantée à l'aspect d'un horrible dragon, qui sortit tout-à-coup d'une caverne située au pied du rocher. La chronique dit que ce monstre faisait la désolation de la contrée, que personne n'avait osé le combattre, et que pour dérouter ceux qui seraient tentés de lui donner la chasse, il avait la ruse de marcher à reculons, de sorte qu'en suivant ses traces on prenait une direction toute opposée à celle qu'il avait prise , et qu'on s'éloignait de lui au lieu d'aller à sa rencontre,

Voici donc encore un de ces dragons dont toutes nos anciennes traditions font si fréquemment mention. Nous avons déduit, dans la I.re partie de nos Antiquités du Finistère, les raisons qui nous portent à penser qu'il ne faut pas les considérer absolument comme des êtres chimériques ou fabuleux; nous y renvoyons nos lecteurs. 

Quoi qu'il en soit, l'apparition subite d'un pareil monstre causa un grand effroi à Efflam et a ses compagnons, plus dévots que guerriers; ils ne se sentaient guère d'humeur à le combattre, et on ne sait trop ce qui leur fût advenu, si le ciel ne leur eût envoyé à point nommé un valeureux champion.

Ici nous allons voir paraître un personnage renommé et dont l'histoire réelle est mêlée h une foule de traditions fabuleuses , ce qui l'a, quoiqu a tort, fait considérer comme un être très-problématique.

Le célèbre roi Artus, chef fameux de la table ronde, et qui régnait à la fois sur le pays de Galles et sur une partie de la Bretagne Armorique(2), vint à passer sur la grève, il reconnut Efflam, dont il était parent, et en voyant le danger qui le menaçait il n'hésita pas à attaquer le dragon, quoiqu'il n'eut d'autres armes que sa massue et son bouclier. Le combat fut long et opiniâtre, et pendant sa durée le prince d'Irlande et ses compagnons adressaient au ciel des vœux pour leur vaillant défenseur. Ils furent exaucés : Artus enfin terrassa son hideux adversaire et le laissa sans vie. Cette victoire lui acquit une grande réputation dans le pays et lui valut le surnom de uter pen dragon, ce qui signifie, en langue celtique, vainqueur du dragon. Après son combat, le héros se sentant épuisé de fatigue et très-altéré, Efflam après une fervente oraison fit le signe de la croix, et frappant de son bourdon un rocher voisin, en fit jaillir à l'instant une fontaine limpide où Artus étancha sa soif. Cette fontaine miraculeuse se voit encore au lieu nommé Toul-Efflam, à l'extrémité occidentale de la lieue de grève.

Suivant une autre version, adoptée par Albert Legrand, le combat d'Artus contre le dragon eut une issue différente. Après avoir lutté une journée entière sans pouvoir obtenir d'avantages l'un sur l'autre, le roi et le reptile épuisés de fatigue se séparèrent d'un commun consentement et revinrent a la charge le lendemain , mais réciproquement avec aussi peu de succès. Alors Efflam voyant les efforts d'Artus inutiles, et craignant qu'il ne finit par succomber enfin, eut recours aux armes spirituelles, qu'il savait mieux employer que toutes autres; il invoqua le secours du ciel, et aussitôt le dragon, montant sur un rocher, se précipita de lui-même dans la mer et s'abîma dans les flots. Cette version est trop évidemment analogue à celle de l'histoire de St. Pol et du dragon de l'île de Baz, pour que nous ne l'ayons pas rejetée, et d'ailleurs elle est moins vraisemblable que la première.

Artus ayant délivré son cousin du péril qui le menaçait, prit congé de lui et s'enfonça dans une épaisse forêt qui bordait le rivage pour y chercher de nouvelles aventures. Cette forêt, dont parle la légende, n'existe plus aujourd'hui, mais on ne peut révoquer en doute son existence passée. Engloutie jadis par quelque marée extraordinaire, elle a été en effet retrouvée en 1812 par M. le comte de la Fruglaye qui, traversant cette plage à la suite d'un violent ouragan qui en avait balayé le sable, la trouva toute bordée d'amas de troncs d'arbres et de détritus de différents végétaux, noircis de vétusté, mais dont on reconnaissait encore parfaitement les formes; on pouvait même encore distinguer, par la nature de leur écorce, les différentes espèces d'arbres dont la plupart étaient des chênes et des bouleaux.(3)

Efflam, en mémoire de sa délivrance, planta une croix de pierre sur le lieu du combat et fonda un ermitage près de la fontaine miraculeuse dont nous avons parlé : il s'y établit avec ses disciples, mais tandis qu'ils se livrent paisiblement en ce lieu à leurs exercices de dévotion, retournons en Irlande auprès de la princesse Honora, nouvelle Ariane, qu'Efflam avait si froidement abandonnée la première nuit de ses noces.

Cette épouse infortunée, devinant le motif de son abandon, résolut de rejoindre son mari à tout prix, et quoiqu'elle ne sut de quel côté se diriger pour le retrouver, elle se flatta que la providence la guiderait. S'embarquant donc dans un de ces légers bateaux de cuirs cousus dont les Celtes faisaient un si fréquent usage (4), elle s'abandonna au gré du vent et des flots qui la poussèrent sur les côtes de l'Armorique, à l'embouche de la rivière du Guer (la rivière de Lannion ). Elle aborda au lieu appelé le Coz-Guéaudet, et s'étant informée, auprès des habitants, du lieu de son époux fugitif, elle n'en put apprendre autre chose sinon qu'il y avait à trois lieues de là un saint ermite nommé Efflam, récemment arrivé dans la contrée, qu'il édifiait par sa piété exemplaire. Honora convaincue que cet anachorète n'était autre que le prince qu'elle cherchait, prit un guide qui la conduisit jusqu'à l'ermitage. Elle y arriva sans accident, quoique poursuivie par le gouverneur de la ville de Lexobie, près le Coz-Guéaudet, qui, ayant su qu'une princesse belle comme le jour venait de débarquer sur ses côtes, avait conçu le projet de l'enlever et de lui ravir ses faveurs.

Réunie à son époux, Honora le transporta de joie en lui annonçant qu'elle était déterminée à embrasser comme lui la vie religieuse, pourvu qu'il soutînt qu'elle habitât auprès de lui. Efflam fit construire une petite cellule à quelque distance de son ermitage, et consentit à ce qu'elle vint l'y visiter fréquemment, pourvu qu'elle eût toujours un voile sur le visage et qu'elle ne lui parlât d'autre chose que de ce qui était relatif a la religion. Tous deux vécurent ainsi plusieurs années, n'ayant ensemble qu'un commerce purement spirituel ; puis au bout de ce temps, Honora, du consentement de son mari, se retira dans le monastère de Lannenok , en Cornouailles.

Sur ces entrefaites, un pieux ermite nommé Gestin, et qui avait autrefois habité le lieu où Efflam avait établi son domicile, revenant d'un long pèlerinage a Rome, fut fort surpris de retrouver la place occupée par un autre; mais voyant que cet étranger était un saint homme, il ne voulut pas le déranger quoiqu'il lui eût offert de lui rendre son ermitage. Grande contestation de politesse s'éleva entre eux deux à qui céderait la place à l'autre : un ange la termina en venant leur annoncer que l'ordre divin était qu'Efflam restât où il était, et que Gestin fut s'établir dans la forêt voisine. Ce dernier obéit, et s'étant retiré dans les bois il y mena une vie si exemplaire, que le pays environnant consacra sa mémoire en prenant son nom, et on l'appela Plou Gestin (peuple de Gestin), et par contraction Plestin, que la paroisse qui l'occupe conserve encore aujourd'hui.

St. Efflam demeura donc dans l'humble ermitage de Toul-Efflam jusqu'à la fin de sa vie, qui arriva en l'an 512. Il y fut enterré, mais de nombreux miracles s'opérant sur son tombeau, où l'on venait de toute part en pèlerinage, ses ossements furent enlevés comme reliques et déposés dans un sarcophage érigé en 994, dans l'église paroissiale de Plestin. Ce tombeau était entouré d'une grille de fer en forme de cage; elle a été détruite à l'époque de la révolution et remplacée par une balustrade de bois.(5)

Aucun auteur, aucun ancien historien n'ayant annoncé que lors des irruptions des Normands les reliques de St. Efflam eussent été profanées ou transférées ailleurs, comme celles de beaucoup d'autres saints Bretons, on espéra que son tombeau les contenait encore, et en 1816 il fut ouvert par ordre du vicaire-général du diocèse; mais il paraît que malgré le silence des chroniqueurs ce sépulcre l'avait déjà été, car on n'y trouva a la place des ossements de St. Efflam qu'un gros paquet de goémon, et l'on ne peut savoir ce que sont devenus les restes du saint, à moins qu'on ne suppose qu'un espace de près de 1300 ans ne les aient réduits en poussière.

Parvenu à l'extrémité orientale de la plage témoin des exploits d'Artus et des miracles de St. Efflam, on arrive dans le modeste village de St. Michel-en-Grève, dont les maisons sont pittoresquement groupées autour d'une petite église de la fin du 16è siècle. On prend ensuite la route qui conduit a Lannion, et en la suivant je trouvai à main gauche, un peu au-dessus du village, un Men-Hir haut de treize à quatorze pieds; ces monuments sont si répandus en Bretagne et nous en avons parlé si souvent dans nos précédents volumes, que celui-ci n'a pas besoin de commentaires ni d'une plus longue description.

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(1) Ce qui signifie, en Celto-Breton, la grande roche bleue, à cause de la couleur d'un gris bleuâtre que ce rocher présente d'un peu loin.

(2) Ce fait nous paraît établi d'après la concordance des noms actuels des localités de ces deux contrées, avec ceux cités dans les chroniques de la table ronde qui , quoique mises en roman (c'est-à-dire en langue Romane du 12è siècle ), ne sont, nous ne cessons de le répéter , que des chroniques historiques relatives aux deux Bretagnes.

(3) Il est fort remarquable que le bouleau , qui alors se trouvait si abondamment dans cette forêt, ne croît plus aujourd'hui naturellement sur aucun point du Léonnais ni de la côte entre Morlaix et Lannion.

(4) On les appelait Curac'hs. Nous avons déjà parlé de ces bateaux.

(5) Depuis encore, on a déplacé ce mausolée que l'on a mis dans l'angle d'un des bas côtés de l'église. Du reste il s'en faut de beaucoup que ce monument date de l'an 994; celui qui existait alors a sans doute été détruit, et le tombeau actuel qui le remplace, date seulement du 16è siècle. C'est un sarcophage entouré d'arcades gothiques, et sur lequel est couchée la statue de St. Efflam revêtu des habits cl des insignes de la royauté. Cette statue est peinte et dorée. Tout auprès on a mis une tablette sur laquelle est peinte cette inscription, écrite d'ailleurs en caractères très-modernes.

Cy gist le cor du glorieux saint Eflam, prince, fils du roi d'Hybernie, en 994.

La date de 994 exprime seulement ici l'époque à laquelle le corps du saint a été transféré dans l'église de Plestin. Cette église, dans son état présent, ne remonte qu'à l'an 1076, ainsi que l'atteste son architecture et la date écrite au-dessus de son portail. C'est un édifice gothique de mauvais goût. Le reliquaire qui l'accompagne est du même temps.

Légende de Perik Scoarn. 

Extrait de : Benjamin Jollivet. 1859, sous article consacré à Saint-Michel-en-Grèves : 

"On raconte, à l'occasion de la Lieue de Grève, la charmante légende qui suit :

Voici que minuit sonne à l'église de St-Michel-en-Grève; minuit de la Pentecôte bénie !

C'est l'heure où les vrais chrétiens reposent leur tête sur l'oreiller de balle, contents de ce que le bon Dieu leur a donné, et s'endorment au cher bruit que fait la respiration des petits enfants endormis.

Mais Perik Scoarn, lui, n'a pas de petits enfants. C'est un jeune homme hardi et seul dans la vie. Il a vu les nobles des environs venir à l'église, et il est envieux de leurs chevaux à brides plaquées d'argent, de leurs manteaux de velours et de leurs bas de soie à coins bariolés.

II voudrait être riche comme eux, afin d'avoir, à l'église, un banc garni de cuir rouge, et de pouvoir conduire au pardon les belles pennérès, assises sur la croupe de son cheval et un bras appuyé sur son épaule.

Voilà pourquoi Périk se promène sur la Lew Drez, au pied de la dune de St-Efflam, tandis que les chrétiens reposent dans leurs maisons, protégés par la Vierge. Périk est un homme amoureux de grandeurs et de belles filles; les désirs sont aussi nombreux dans son cœur que les nids d'hirondelles de mer sur les grands récifs.

Les vagues soupirent tristement à l'horizon noir, les cancres rongent à petit bruit les cadavres des noyés; le veut qui souffle dans les fentes de Roch-Ellas imite le sifflet des collecteurs (1) de la Lew-Drez; mais Scoarn se promène toujours.

II regarde la montagne, et repasse dans sa mémoire ce que lui a dit le vieux mendiant de la croix d'Yar. Le vieux mendiant sait ce qui s'est passé dans la contrée, alors que nos plus vieux chênes étaient encore des glands et nos plus vieilles corneilles des œufs non couvés. 

Or, le vieux mendiant d'Yar lui a dit que là ou se dresse aujourd'hui la dune de St-Efllam s'étendait autrefois une ville puissante (2). Les flottes de cette vi!le couvraient la mer et elle était gouvernée par un roi ayant pour sceptre une baguette de noisetier, avec laquelle il changeait toute chose selon son désir.

Mais la ville et le roi furent damnés pour leurs crimes, si bien qu'un jour, par l'ordre de Dieu, les grèves s'élevèrent comme les îlots d'une eau bouillonnante et engloutirent la cité. Seulement, chaque année, la nuit de la Pentecôte, au premier coup de minuit, un passage s'ouvre dans la montagne et permet d'arriver jusqu'au palais du roi.

Dans la dernière salle de ce palais se trouve suspendue la baguette de noisetier qui donne lotit pouvoir; mais pour arriver jusqu'à elle il faut se hâter, car, aussitôt que le dernier son de minuit s'est éteint, le passage se referme et ne doit se rouvrir qu'à la Pentecôte suivante.

Scoarn a retenu ce récit du vieux mendiant d'Yar, et voilà pourquoi il se promène si tard sur la Lew Drez.

Enfin un tintement aigu retentit au clocher de St-Michel; Scoarn tressaille! il regarde, à la clarté des étoiles, le rocher de granit qui forme la tête de la montagne, et le voit s'entrouvrir lentement comme la gueule d'un dragon qui s'éveille.

II assure alors à son poignet le cordon de cuir qui retient son Pen-bas et se précipite dans le passage, d'abord obscur, puis éclairé par une lumière semblable à celles qui brillent, la nuit, dans les cimetières. Il arrive ainsi à un palais immense dont les pierres sont sculptées comme celles de l'église du Fou du bois ou de Quimper sur l'Odet.

La première salle où il entre est pleine de bahuts où est entassé autant d'argent que l'on voit de grains de blé dans les herbes, après la moisson; mais Périk veut plus que de l'argent et il passe outre! — Dans ce moment sonne le sixième coup de minuit !

II trouve une seconde salle de coffres qui regorgent de plus d'orque les râteliers ne regorgent d'herbes en fleur au mois de juin. Périk Scouarn aime l'or; mais il veut encore davantage et il va encore plus loin. — Le septième coup vient de sonner. 

La troisième salle où il entre est garnie de corbeilles où les perles ruissellent comme le lait dans les terrines de terre de Cornouailles, aux premiers jours du printemps. Scouarn eût bien voulu en emporter pour les jolies filles de Plestin ; mais il continue sa route, en entendant sonner le huitième coup.

La quatrième salle était toute éclairée par des coffrets remplis de diamants, jetant plus de flammes que les bûchers d'ajoncs sur les coteaux du Douron, le soir de la St-Jean. Scoarn est ébloui! Il s'arrête un instant, puis court vers la dernière salle en entendant frapper le neuvième coup. 

Mais là il demeure subitement saisi d'admiration! Devant la baguette de noisetier que l'on voit suspendue au fond, sont rangées cent jeunes filles belles à perdre les saints. Chacune d'elles tient, d'une main, une couronne de chêne, et, de l'autre, une coupe de vin  de feu. Scoarn, qui a résisté à l'argent, à l'or, aux perles et aux diamants, ne peut résister à la vue de ces belles créatures, amies du péché.

Le dixième coup sonne et il ne l'entend point; le onzième se fait entendre et il demeure immobile; enfin, le douzième retentit aussi lugubre que le coup de canon d'un navire en perdition parmi les brisants!...

Périk épouvanté veut retourner en arrière; mais il n'est plus temps! toutes les portes se sont refermées; les cent belles jeunes filles ont fait place à cent statues de granit et tout rentre dans la nuit !

Voilà comment les vieillards ont. raconté l'histoire de Scoarn. Vous savez maintenant ce qui arriva à ce jeune homme pour avoir ouvert trop facilement son cœur aux séductions. Que la jeunesse prenne son enseignement : il est bon de marcher les yeux baissés vers la terre, de peur de désirer les étoiles qui sont à Dieu et à ses anges".

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(1) : On donnait ce noms à de hardis brigands (ceci est historique), qui exploitèrent longtemps ces côtes dangereuses. ils avaient imaginé de placer un chapeau au bout d'un pieu, au bord de la route. si le voyageur passait sans rien y déposer, un coup de sifflet l'annonçait au reste de la bande, qui le dépossédait un peu plus loin.

(2) : Les habitants de St-Michel revendiquent pour leur grève l'antique ville d'Is, que les légendaires ont rendue si célèbre. De nos jours encore, un vieux pêcheur raconte à qui veut l'écouter qu'il y a quelques années la mer, après un orage épouvantable, se retira bien au-delà de ses limites ordinaires, laissant si peu d'eau près de la côte, qu'il distingua parfaitement des pointes de clocher sortant des sables qui parsèment le fond de la grève. - Nous avons dit ailleurs (V. Plestin) que la grève de St-Michel a été autrefois un grand bois ou une forêt.

* J. Rigaud (1890) : "Pour aller de Plestin à Saint-Michel-en-Grève, on suit une belle chaussée, dite dans le pays la Lieue de grève. C'est une promenade pleine de charmes; d'un côté, se déroulent les belles grèves avec la mer immense à l'horizon; de l'autre, des falaises très élevées, au milieu desquelles se détache un amas de rochers nommé Roc'h-Karlaz".

Étymologie :

* Marteville et Varin (1843) :

- sous article consacré à Saint-Michel-en-Grèves :  "Au centre de cette baie, (= de St-Michel-en-Grèves), que dominent du côté du sud des terres élevées, se dresse le rocher l' Irglas, qu'on dirait la sentinelle qui veille sur cette lande maritime".

* Benjamin Jollivet (1859), sous article consacré à Saint-Michel-en-Grève : " ... Ce qui est beau, c'est la vue d'un soleil couchent sur les flots, par un beau soir d'été, du haut du Roc'hellas, rocher gigantesque et à pic, que surmonte une croix ! Là vous n'avez rien à craindre, à moins de vertige, car la mer qui écume à vos pieds laisse entre elle et vous une profondeur de 35 à 40 mètres !"

* Régis de Saint-Jouan (1990); dans article consacré à Claude RANNOU, dans la page de Saint-Michel-en-Grèves, citant un article de L. Dubreuil, dans Nouvelle Revue de Bretagne, de 1952 : "Claude RANNOU, barde de Roc'h Allaz".

* Bernard Tanguy (1992), dans article consacré à Saint-Michel-en-Grève : "Siège d'un prieuré-cure jusqu'à la Révolution, le bourg paraît, à en juger par son nom, lié à la fondation de cet établissement dont les origines sont sans doute en rapport avec la présence des moines de l'abbaye du Mont-Saint-Michel sur la lieue de Grève. Suite à la donation que leur fit en 1086 l'évêque de Tréguier du Mont Hyrglas (c'est à dire le Grand rocher) et de ses dépendances, ainsi que de la dîme de Plestin, ils y fondèrent en effet un prieuré dont on ignore l'emplacement exact" ...