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Première partie

 

Contexte géopolitique du Roman de Merlin

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3. La Grande-Bretagne à partir de 410 après J.C

 

            Vortigern

            Le résumé de la situation politico-militaire de la (G)Bretagne romaine est assez similaire à celle de l'Empire d'Occident : une pagaille suicidaire !

            Lorsque les responsables de l'Empire ont progressivement retiré les troupes de l'Ile pour faire face aux dangers sur le continent, les Britto-romains ont bel et bien été obligés d'organiser eux-mêmes leur propre défense. Ils l'ont fait, faut-il le préciser, en conservant totalement le sentiment d'être et de rester des citoyens romains à part entière, dans l'attente que l'Empire réussisse à rétablir la situation et à replacer des troupes dans l'Ile.

            Le premier chef militaire élu dont nous connaissons le nom est un certain Coel-Hen qui a eu à traiter immédiatement des problèmes sur les frontières du nord et du côté de la Mer d'Irlande. On voit aussi apparaître à cette époque des renforts de la part d'un clan puissant non soumis à l'autorité romaine, mais agissant apparemment comme des fédérés, à savoir le clan de Cunedda et de ses nombreux fils.

            Vitalinus alias Vortigern (= Superbo Tyrano), originaire de Glevum / Gloucester, succède vers 425 à Coel-Hen en tant que dux de Bretagne, c'est-à-dire en tant que généralissime des armées de Bretagne (1). Sans cesse confronté aux incursions de plus en plus ravageuses des Bretons barbares situés au nord du Mur d'Hadrien, appuyés par les Pictes et les Scots, Vortigern fait appel aux autorités romaines pour l'aider à remettre de l'ordre dans l'Ile. Malheureusement, le patrice Aetius qui commande alors en Gaule ne peut répondre positivement au pressant appel du dux de Bretagne, car il est lui-même occupé à défendre les frontières du Rhin contre d'autres peuples barbares de plus en plus menaçants. Pour ce faire, il est lui-même obligé de regrouper toutes les forces continentales disponibles, constituées aussi bien de citoyens romains, comme les Gaulois et les Bretons de Létavia, que de barbares fédérés à l'Empire comme les Francs, les Burgondes, les Wisigoths, et les Alains (2).

            Voyant qu'il ne peut attendre de l'aide du continent, Vortigern décide alors de faire appel lui aussi à des peuples germaniques qui se présentent comme favorables à l'Empire, en l'occurrence à des peuples du nord de la Germanie, riverains de la Mer du Nord, les Jutes et les Angles, qui viennent ainsi grossir les contingents saxons déjà intégrés depuis près de deux siècles. Il n'y a en cela rien d'extraordinaire ni de répréhensible en soi du point de vue politique, car cela fait déjà longtemps que les autorités romaines procèdent de la même façon, et elles le feront pendant encore longtemps. Certains empereurs eux-mêmes, aussi bien en Gaule qu'en Bretagne, en Grèce, ou en Orient, se sont laisser aller à de pareilles embauches, y compris même dans certains cas dans le but de lutter contre les propres armées de l'Empire.

            C'est ainsi qu'à la demande de Vortigern, dux de Bretagne, Hengist et Horsa et leurs guerriers Jutes venus prêter main forte aux Britto-romains débarquent à Ebbsfleet (Ypwines fleot), dans la Pegwell bay, près de Canterbury (3).

            La Chronique Anglo-saxonne, dans les versions Parker et Laud, date l'évènement de l'an 449: " In this year Mauricius and Valentinian obtained the kingdom and reigned seven years." "Cette année-là, Mauricius et Valentinien obtiennent le royaume (= l'Empire = le consulat) et règnent pendant sept ans". La version Cotton donne la date de 448. On peut cependant remarquer un lapsus commun aux trois versions : l'empereur Valentinien a été consul, pour la 7ème fois, avec Gennadius Avienus, en 450, tandis que la forme Mauricius est donnée pour une confusion avec l'empereur Marcianus, consul en 451, en compagnie de Valerius Faltonius Adelfius. Nous disposons par conséquent à propos de cet évènement d'une marge d'erreur qui va du jeudi Ier janvier 448 au lundi 31 décembre 451.

            Quoi qu'il en soit de cette imprécision relative de date, les alliés Britto-romains et Jutes parviennent ensemble à expulser les barbares Pictes et Scots de la province romaine de Bretagne. Pour sceller et concrétiser le pacte d'alliance, les Britto-romains donnent en jouissance aux Jutes l'île de Thanet, à l'extrémité sud-est du Kent. Bien plus, Vortigern répudie sa femme, une chrétienne, pour épouser Renwein, la fille de son nouvel allié barbare, le roi Hengist, elle-même barbare et païenne, et ce au grand dam et malgré l'opposition farouche de l'évêque Germain d'Auxerre (4).

            L'alliance ne dure malheureusement pas longtemps, car les Britto-romains reprochent bien vite aux Jutes de ne pas respecter les termes du contrat en installant à Thanet plus de population qu'il leur avait était accordé. Ce désaccord finit par se traduire en confrontation armée. Les Bretons et les Jutes s'affrontent une première fois à Rhyd yr Afael / Aylesford, en 455. Les versions Parker et Laud sont d'accord sur l'année, sans autre repère possible de date. La version Cotton n'en parle pas. Deux personnages importants sont tués dans la bataille: du côté breton, Catigern deuxième fils de Vortigern, et du côté Jute, Horsa lui-même, frère du roi Hengist (5). Les Bretons sortent vainqueurs de la bataille, mais tombent ensuite naïvement dans un traquenard tendu par Hengist lors d'un repas de réconciliation. Ils y perdent 360 hommes, et Hengist peut alors s'emparer sans aucune difficulté de Canterbury, une des plus belles capitales provinciales de l'Ile, ainsi que du port de Douvres et de la forteresse de Richborough, deux places particulièrement importantes du point de vue commercial et militaire (6). Assuré de sa victoire, et persuadé que les Bretons n'y pourront rien, Hengist n'hésite même pas à se proclamer roi sur le territoire conquis jusqu'à la rivière Medway et à établir sa capitale dans la ville bretonne de Caer-Caint, qui devient ainsi en langue germanique Cantwaraburg (Canterbury) (7). Vortigern, virtuellement neutralisé par son beau père et sa femme, se voit contraint de reconnaître l'autorité du roi barbare sur ce territoire.

            Les nationalistes britto-romains refusent cette reconnaissance et proclament alors comme chef Mortimer, le propre fils de Vortigern (8). Les mercenaires saxons, installés légalement en qualité de fédérés en Bretagne, abandonnent la neutralité qu'ils avaient jusqu'alors observée pour prendre le parti des Jutes, leurs cousins de race, qui reçoivent en outre l'appui supplémentaire des Angles, autres germaniques du nord, et qui plus est des Bretons barbares Pictes et Scots eux-mêmes qu'ils avaient combattus quelques années auparavant. Une deuxième grande bataille oppose très vite les Britto-romains à cette coalition barbare Jutes-Saxons-Angles à Crayford. La version Laud donne l'année 456, et la version Parker l'année 457. La bataille tourne au désastre pur et simple pour les Bretons, qui laissent sur le terrain quatre mille soldats (selon ASC : 4 compagnies). Le reste de l'armée bretonne se réfugie en catastrophe dans les fortifications de Londres. Hengist a donc désormais le terrain entièrement libre et toute latitude pour s'emparer de l'ensemble du Kent. La datation de cet évènement présente donc une marge d'erreur allant du dimanche Ier janvier 456 au mardi 31 décembre 457.

            Ces trois évènements : l'arrivée des Jutes en Bretagne en qualité d'alliés, la bataille d'Aylesford, puis la bataille de Crayford, sont unanimement acceptés par les historiens traitant de l'Histoire de Bretagne, que ce soit du côté 'anglais' ou du côté 'bretons-gallois/cymri'. Elles constituent donc, de l'aveu de tous les chercheurs avertis, des points de repères parfaitement sérieux.

            Pour compléter le désastre de Crayford, Mortimer décède peu de temps après. On dit qu'il a apparemment été empoisonné sur ordre de sa belle-mère Renwein. Son corps est inhumé à Londres (9).

            Devant ces désastres et ces trahisons à répétitions, les chefs nationalistes bretons cymri (10) décident de destituer Vortigern et finissent par s'en débarrasser en le faisant périr dans l'incendie de la forteresse dans laquelle il s'était réfugié. Pasgen, son fils, est épargné, mais ne pourra plus se prétendre roi que de ses terres de Builth et Gwerthrynion, dans le sud de l'actuel Pays de Galles. On peut donc conjecturer sans risques majeurs que la disparition de Vortigern de la scène politique bretonne peut se situer à partir de fin 456 / courant 457 (11).

 

 

La Bretagne romaine à l'époque d'Ambroise Aurèle et à l'avènement d'Arthur

Les possessions des Jutes se trouvent dans le Kent, à l'extrémité sud-ouest de l'Ile

Carte adaptée de celle de Peter SALWAY : Roman Britain.

            Ces dates correspondent par ailleurs à une époque particulièrement mouvementée au niveau de l'Empire: éviction de l'empereur Avite le 17 ou 18 octobre 456, décès de l'empereur Marcien le samedi 26 janvier 457. Les deux empereurs disparaissent en l'espace de trois mois. Les rênes de l'Empire échoient, le jeudi 07 février 457, à Flavius Valerius Leo (Léon Ier, dit l'Isaurien), qui est tribun et le principal intendant de la maison d'Aspar, un Alain, chef tout-puissant de la milice, et homme fort du moment à la cour d'Orient, qui le proclame empereur (12). En Italie, c'est Ricimer qui gouverne de fait, avec le titre de Patrice.

 

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