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Deuxième partie

 

3. Analyses et commentaires des textes

 

 

            La Bretagne bleue insulaire.

            Comme il ne semble pas que cette appellation Bretagne bleue se trouve nulle part ailleurs que dans les Romans, cela rend difficile à première vue de lui trouver une explication logique tant du point de vue de sa localisation géographique que de son contexte géopolitique. 

            En effet, le nom de la couleur bleue, dans les langues celtiques modernes, est glas, en breton comme en gallois et en cornique, et gorm en gaélique. Curieusement d'ailleurs, la couleur bleue et la couleur verte portent le même nom dans les quatre langues. La racine de glas se retrouve dans le latin glaucus, issu lui-même du grec glaukos, signifiant vert tirant sur le bleu, selon Dauzat, bluish-green or grey, c'est-à-dire bleu-vert ou gris, selon Onions. La racine de glas est alors à rechercher dans un thème Krk > Klc, que l'on peut comparer à l'anglais grey qui, selon Onions, se trouve dans le Vieil-anglais graeg, le Vieux-frison gre, le Moyen-néerlandais grau, gra (néerl grauw), le Vieux haut allemand grao (all. Grau); Dauzat évoque le francique grîs (ivre), donnant l'allemand greis (vieillard, sénile).

            Il existe pourtant des antécédents entre l'Ile de Bretagne et la couleur bleue.

            La première mention nous en est faite dans une digression de Jules César relatant sa campagne de 54 av. J.C " ... c'est un usage commun à tous les Bretons de se teindre le corps au pastel, qui donne une couleur bleue, et cela rend leur aspect particulièrement terrible dans les combats." (1)

            Une deuxième mention nous est faite par Sénèque à propos des Brigantes, peuple puissant du centre de l'Ile : " ... Il (l'empereur Claude) força les Bretons, par delà les rivages des mers connues, ainsi que les Brigantes aux boucliers azurés, à tendre le cou aux chaînes de Romulus ... " (2)

            Bien plus tard, un essai d'identification sera fait à partir de la racine glas pour chercher une justification aux prétentions arthuriennes de la ville de Glastonbury de la même façon qu'il a été fait aussi à partir du mot anglais glass pour désigner l'Ile de Verre. Ces jeux de mots sont tellement grossiers qu'il ne retiennent même plus l'attention des chercheurs. (3)

 

 

            Essai de localisation, selon les indications des Romans.

            Cette appellation Bretagne Bleue de l'Ile n'est pas donnée dans le poème consacré à Merlin l'Enchanteur, mais dans ceux consacrés aux Amours de Lancelot du Lac et à Galehaut, sire des îles lointaines, dont voici les extraits :

 

            Les amours de Lancelot du Lac

            - chap I : Au royaume de Logres : "La Bretagne bleue fut pleine pleine de merveilles"

 

            Galehaut

            - chap IV. Sagremor fait nouvelle amie : "Ils chevauchèrent tout le reste de la nuit à travers la forêt qui appartenait au roi de Norgalles, et que l'on nommait la forêt bleue".

            - chap XIV. En Sorelois : "... c'était le plus délicieux pays qui fût en toute la Bretagne bleue... Il était proche du royaume de Logres".

            - chap XVII. Le pont norgallois : Le Sorelois est séparé du Norgallois par un pont.

            - chap XXII. Le songe de Galehaut : La cité maîtresse du Sorelois s'appelle Sorhaut.

            - chap XXIV. L'amitié de Galehaut : Le Sorelois est le meilleur royaume qui soit en toute la Bretagne bleue.

            - chap XXV. Signifiance du songe : un château du royaume de Logres nommé Ludevoit, à six lieues du gué des Bois.

 

 

            Identifications :

            Logres : Il a depuis fort longtemps été établi que Logres désigne une ancienne forteresse romaine construite à l'emplacement de Ratae Coritanorum, 'Oppidum des Coritani' (4). A l'époque du Bas-Empire ou au Haut Moyen-age ce nom a été remplacé par Legorensis Civitas. C'est le radical du nom, Legor-, qui a été repris sous la forme Logres dans les Romans arthuriens, Ligora ceaster par les Anglo-Saxons, pour aboutir en Leicester en langue anglaise (5). Cette ville fortifiée a servi de capitale militaire aux Bretons à l'époque de leur recul territorial vers l'ouest, dans la première moitié du VIè siècle, après qu'ils aient évacué Londres abandonnée aux Anglo-Saxons (6). Il est à noter le fait très important que Logres est bâtie sur la rivière Sora, qui a donné son nom au Sorelois.

            Sorelois : Pays situé sur la rivière Sora (auj. Soar), voisin ainsi confirmé de Logres. Donc, à priori, concerne la vallée de la Soar, depuis sa source à Venonae, jusqu'à son confluent avec la Trent. A noter qu'il n'y a pas de lieux-dits dominants dans la vallée ni dans la zone de confluence. Ceux-ci se trouvent sur les hauteurs voisines, Vernemetum à droite du confluent, et Derventio à gauche du confluent (7).

            Sorehaut, que l'on peut traduire en Sora-Alt, 'hauteur sur la Sore', désigne de-facto un lieu fortifié sur une hauteur dominant la rivière Sore, et différent de Leicester. On pourrait à priori penser à Vernemetum. Mais il semble qu'il faille plutôt rechercher l'identification avec Mountsorrell, site voisin qui, tout bien pesé, signifie également ' hauteur sur la Sore', et dont la situation stratégique a été comprise plus tard par les Normands, qui ont parfaitement pu réutiliser le site de la place forte bretonne en rebâtissant une nouvelle forteresse au même endroit. Le cas n'a rien que de très banal. (8)

            Ludevoit : nom dérivé directement de Leto-cetum. Ce nom, qui est en fait un toponyme parfaitement descriptif d'un plateau boisé, a été interprété de façon aberrante par Forêt bleue, permettant la dérive du nom du pays tenu par les Bretons à l'époque d'Arthur, en Bretagne bleue. Selon le texte, la forêt appartient au Norgallois, alors que Ludevoit est du royaume de Logres. Il est séparé du Sorelois par un pont, et est situé à 6 lieues du gué des bois. (9)

            Que l'on se base sur 6 lieux romaines, égales à 2222 mètres, ou sur 6 lieues bretonnes ou gauloises, dont la valeur linéaire se situe entre 2338 et 2475 mètres, cela nous mène de toutes façons à une distance désignant un gué ou un passage de rivière situé entre 13 et 15 km de Letocetum.

            Au sud nous aboutissons au carrefour de Metchley, qui n'est pas un gué. Au sud-est nous tombons précisément sur la forteresse de Manduessedum (Mancetter), commandant le passage de la rivière Anker, et dans un carrefour qui conduit aussi à Leicester / Logres. Au nord-est nous aboutissons au confluent de la Trent et de son affluent la Dove, endroit de passage entre Letocetum et Derventio. On y trouve aujourd'hui Stretton, nom identique à celui qui a remplacé par ailleurs Pennocrucium, et qui signifie village (tun) en bordure de la voie romaine (strata). Il s'agit du dernier lieu de passage dans la vallée de la Trent avant de commencer à monter le relief de Letocetum, en venant du Sorelois. (107)

            Si enfin l'on considère 6 miles anglais modernes, bien que cela paraisse très improbable, cela fait entre 9 et 10 Km. On tombe précisément sur Penkridge / Pennocrucium, forteresse située au passage de la Penk, à l'ouest de Letocetum, en direction de Norgalles, aujourd'hui North Wales, et dont la racine -cruc- peut également être rattachée au thème *Kr°k > *Gr°g = bleu. (11)

 

La Forêt Bleue

Letocetum / Lichfield se trouve au milieu de la carte

Ratae Coritanorum / Logres / Leicester, se trouve immédiatement à l'est.

Mountsorrell se trouve entre les deux, au nord, non loin de Vernemetum.

Extrait de Map of Roman Britain, Ordnance Survey.

 

            Les éléments ne manquent pas, en définitive, pour reconnaître que la Bretagne Bleue désigne bien la Grande Bretagne, aussi bien à l'époque romaine que dans l'esprit des poètes qui ont écrit les Romans au Moyen-age.

notes : Bretagne bleue insulaire

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