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La Conquête romaine

 

            I. Prologue.

            En fin Janvier 41, Rome a un nouvel empereur en la personne de Tiberius Claudius Nero Drusus, né à Lugdunum / Lyon sur le Rhône, le 1er Août 10 avant J-C. Il est le neveu du grand Tibère, et oncle de l'empereur Caligula qui vient d'être assassiné. (1)

            Proclamé empereur à son tour par ses soldats, Claude trouve en la Bretagne une occasion propice et excellente pour tenter, comme son aïeul le Divin Jules César, d'acquérir la gloire par une grande victoire militaire et imposer ainsi son autorité sur l' Empire. (2)

            S'inspirant des méthodes de son illustre ancêtre et prédécesseur, Claude sait qu'il peut compter sur la discorde interne des Bretons et se réjouit de l'occasion qui lui est offerte par les appels à l'aide d'Adminios, fils banni de Cunobelinos, et ceux de Verica, roi des Atrébates insulaires, allié fidèle et traditionnel de Rome, lequel vient précisément d'être dépossédé par les deux jeunes princes des Catuvellauni, Caratacos et Togodumnos. Il semble même que Claude peut compter sur la sympathie des souverains de Brigantia, la puissante cité du centre de l'Ile, ainsi que sur la neutralité favorable de Prasutagus, roi des Iceni, qui craignent tous de façon égale les appétits expansionnistes des Catuvellauni. (3)

            La guerre qui se profile alors prend de plus en plus l'allure d'une coalition de fait contre les Catuvellauni et leurs alliés, dont la puissance et le caractère expansionniste font trembler les voisins et inquiètent les Romains, désormais maîtres des Gaules des Pyrénées jusqu'au Rhin, et qui ne désirent pas d'avantage voir se créer sur leurs frontières du nord un royaume celtique qui serait assez puissant pour donner à leurs sujets gaulois des velléités de rebellions.

            En définitive, les Catuvellauni et leurs alliés ont donc à faire face à une alliance de fait entre les Romains au sud, les Atrébates insulaires à l'ouest, et les Brigantes au nord.

            Le prétexte de la guerre est trouvé en ce que Rome ne peut admettre plus longtemps les turbulences que les rois des Catuvellauni viennent semer parmi les peuples du nord de la Gaule, partie intégrante de l'Empire. (4)

            L'autorité de l'Empire étant ainsi mise en cause, l'Empereur ne peut donc le tolérer : c'est la guerre.

            II. L'armée d'assaut.

            Celle-ci est composée de quatre légions parfaitement aguerries, avec armes et bagages, groupées à Gesoriacum / Boulogne-sur-Mer et les ports voisins :

- Legio I I Augusta, stationnée près d'Argentoratum / Strasbourg,

- Legio XIV Gemina, stationnée à Mogontiacum / Mayence,

- Legio XX Valeria, stationnée à Novaesium / Neuss,

- Legio IX Hispania, stationnée en Pannonnie.

            A cette armée sont également ajoutées des unités auxiliaires gauloises, Thraces, et Bataves, pour ne citer qu'elles.

            Le commandement général, théoriquement assuré par l'Empereur lui-même, est dévolu à Aulus Plautius, général issu de la belle-famille de l'Empereur. Il est assisté de Vespasien, Flavius Sabinus, et Hosidius Geta. (5)

            III. Mutinerie

             Les légionnaires désignés pour participer à l'expédition ne semblent pourtant guère confiants dans cette mission qui leur est attribuée. Peut-être s'agit-il en effet à nouveau d'une 'fantaisie' passagère d'un empereur à l'esprit lunatique comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps sous Caligula. Par ailleurs, les informations qui proviennent venant de l'Ile même permettent de savoir que ces Bretons ont la réputation d'être de farouches guerriers et de posséder une excellente cavalerie.

             Les sujets d'inquiétude ne manquent pas, et une mutinerie finit par prendre naissance parmi les soldats romains. Même leur général en chef n'arrive pas à les convaincre du bien fondé de la mission qui leur est demandée. Il faut l'intervention et toute la diplomatie du grec Narcissus, ancien esclave affranchi de Claude et devenu son ami personnel, pour ressaisir les soldats et les ramener à l'obéissance. (6)

            IV. Attaque et débarquement

            Dans le courant du printemps 43, soit quatre-vingt-dix-sept ans après l'expédition du Divin Jules, c'est donc à nouveau une armée de près de quarante mille hommes qui s'embarque des ports du nord de la Gaule pour attaquer l'Ile de Bretagne.

             Afin de forcer les Bretons à scinder leurs forces, les plans d'attaque prévoient un débarquement simultané en trois points différents, assez éloignés les uns des autres : Lemanis / Lymphe, Dubra / Douves, et Rutupiae / Richborough. Prudence inutile en vérité : les Bretons, qui n'ont pas cru à cette expédition, pensant que les préparatifs n'auraient pas eu plus de suite que ceux de Caligula, ont laissé la côte sans défenses et sont occupés à leurs travaux des champs. La flotte romaine, d'abord divisée pour attaquer, se regroupe alors et débarque en un seul bloc à Rutupiae, sans rencontrer de résistance.

            Cette pusillanimité incroyable de la part des chefs bretons est à ranger parmi les plus grandes erreurs stratégiques de leur histoire, car elle va marquer le point de départ d'un processus qui ne s'achèvera qu'après la chute et l'absorption par l'envahisseur romain de la quasi totalité de l'Ile. (7)

            V. Bataille de la Medway

             A la nouvelle du débarquement, les Bretons à peine remis de leur surprise se regroupent en toute hâte sur une deuxième ligne de défense constituée par la rivière Medway, à soixante kilomètres à l'ouest de Rutupiae, sous le commandement conjoint des deux princes Togodumnos et Caratacos.

            Une bataille d'une rare violence s'engage alors à ce endroit entre Bretons et Romains, et elle est à juste titre considérée par les historiens comme la bataille décisive pour la sauvegarde de l'indépendance ou la chute de la Bretagne.

            Mais contrairement à ce que fut Alésia, où les Gaulois se laissèrent cerner sans pouvoir sortir du piège, la bataille de la Medway est une bataille active, fougueuse, et sanguinaire, entre des belligérants aussi décidés de part et d'autre à obtenir une victoire éclatante. Le combat dure deux jours sans discontinuer, et ce seul fait, presque unique dans les annales des batailles romaines de l'Antiquité, démontre s'il en est besoin la qualité et l'ardeur des forces en présence.

            Dès le premier jour, un corps auxiliaire de cavaliers bataves réussit à franchir la rivière et à neutraliser les chariots de guerre des Bretons, qui se trouvent ainsi démunis de leur principale composante. Aulus Plautius donne ordre à Vespasien et à sa Légion II Augusta de traverser la rivière à leur tour. Dès que celui-ci a réussi, non sans peine, à prendre pied sur l'autre rive et à s'y maintenir, les trois autres légions traversent à leur tour pour lui venir en aide. Cette opération, extrêmement épuisante, ne pendra fin que tard dans la nuit.

            Dès le lendemain matin, le combat reprend avec encore plus de vigueur, mais les Bretons, quoique désormais plus nombreux, sont maintenant privés de leur cavalerie et commencent à présenter des signes de faiblesse. Apparemment, la charge finale des Romains est envoyée par Hosidius Geta qui, fonçant sur les lignes bretonnes, parvient à les scinder et les mettre en déroute. Le prince Togodumnos lui même est tué dans la bataille. A cette nouvelle, les Bretons abandonnent le terrain et s'enfuient, laissant la victoire aux Romains. (8)

            VI. Bataille de la Tamesa.

            Chez les Bretons, c'est la débandade en deux groupes, l'un se repliant vers le nord-ouest avec Caratacos, l'autre vers le nord-est, sans chef ni stratégie. En toute hâte, ils se replient vers leur ultime ligne de défense que constitue la rivière Tamesa.

            Mais les données sont complètement bouleversées, et le cœur n'y est plus. Les cavaliers germains auxiliaires des Romains, réitérant leur exploit de la Medway, franchissent à nouveau le fleuve à la nage, pendant que d'autres corps d'armée traversent en différents endroits sur des pontons construits à cet effet.

            Pour les Bretons, assaillis de toutes parts, c'est la défaite finale, et grand nombre d'entre eux sont massacrés sur place sans autre forme de procès. Les légionnaires romains eux-mêmes, dans la fougue et l'excitation de la victoire, finissent par perdre un grand nombre d'hommes en poursuivant les Bretons dans les marais.

            Qu'importe, les Romains ont bel et bien gagné la bataille de Bretagne. Les Catuvellauni sont en fuite, et les Trinobantes n'ont plus de chef. La route de Camulodunum / Colchester est ouverte, et rien désormais ne peut plus s'opposer aux légions victorieuses. 

            Quoiqu'il en soit, en digne citoyen respectueux de son peuple et de son empereur, Aulus Plautius décide d'attendre que l'empereur Claude l'ait rejoint sur la Tamesa avant de mener plus loin ses conquêtes. Il profite de ce laps de temps pour faire construire un camp et un pont à l'endroit principal de passage, afin d'assurer la sauvegarde et l'approvisionnement de ses troupes. (9)

            VII. L'empereur Claude en Bretagne.

            Quelques jours après la bataille de la Tamesa, et après avoir confié provisoirement la charge de l'Empire à Lucius Vitellius, l'empereur Claude arrive à son tour en Bretagne, accompagné de sa garde prétorienne, par une suite de notables romains, et par un corps de troupes de l'armée impériale montées sur éléphants. (10)

            A la tête de son armée, Claude se dirige alors vers Camulodunum.

            Les Bretons, malgré la nette supériorité technique des Romains, offrent un baroud d'honneur, en engageant une dernière bataille entre la Tamesa et Camulodunum. Mais pour eux, la cause est perdue d'avance, et c'est en triomphateur que Claude pénètre dans Camulodunum, capitale du grand roi Cunobelinos, décédé deux ans plus tôt. (11)

            Claude reste seize jours en Bretagne, et reçoit les soumissions de onze rois britanniques, parmi lesquels on doit citer en particulier Cogidumnos, héritier du royaume de Verica, et qui reçoit en retour le titre de Rex et Legatus Augusti in Britannia, marquant ainsi la suzeraineté de Rome sur cette partie de la Bretagne, qui devient province romaine.

            Claude désigne Camulodunum pour capitale de la nouvelle province romaine, et ordonne la construction d'une forteresse ainsi qu'un temple dédié à sa propre personne. (12)

            Après quoi, repassant le commandement à Aulus Plautius, Claude s'en retourne à Rome, où il est accueilli triomphalement. (13)

 

Reconstitution archéologique à partir de fragments de la dédicace provenant de l'arc de triomphe de Claude, érigé à Rome en 52 après J-C, et relatant ses victoires en Bretagne

            " (dédiée) au Divin Tiberius Claudius, fils de Drusus, Caesar Augustus Germanicus, Pontifex Maximus, détenant la puissance tribunicienne pour la onzième fois, Consul pour la cinquième fois, proclamé Empereur vingt-deux fois (?),  Censeur, Père de la Patrie. (Erigé) par le Sénat et le Peuple de Rome pour avoir obtenu la soumission de onze rois de Bretagne, revenu sans pertes, et pour avoir été le premier à soumettre des tribus barbares d'au-delà les Océans à l'autorité de Rome".

John Wacher : Britain before the Conquest. The Coming of Rome. p 76 et 77.

Le temple du Divin Claude à Camulodunum

Reconstruction conjecturale; photographie de Dennis Mansell; publiée par Judges Ltd, pour le compte de

 Colchester and Essex Museum

Rome est en Bretagne

Photographie Ermine Street Guard, dans Dossiers d'Histoire et Archéologie, n° 86, août-septembre 1984.

            VIII. Pacification du sud de la Bretagne. 43 - 49 ap. J-C.

            Après le départ de l'empereur, Aulus Plautius devient ainsi le premier gouverneur de Bretagne, avec le titre de Légat consulaire. Il y détient les pleins pouvoirs et a pour mission de " ... conquérir le reste (de l'Ile)." (14)

            Comme quelques tribus bretonnes sont toujours en armes, il déploie ses légions en éventail à partir de Camulodunum / Colchester, capitale de la province 

            - La Legio XX Valeria reste en réserve dans la nouvelle capitale, dotée désormais d'une forteresse de légion.

            - La Legio IX Hispania se dirige vers le nord, en direction du territoire des Coritani. Elle prend position à Longthorpe, sur la rivière Nene, près de l'actuelle Peterborough.

            - La Legio XIV Gemina prend la direction du nord-ouest, vers le centre de l'Ile.

            - La Legio II Augusta, sous le commandement de Vespasien, a pour mission de pacifier les tribus hostiles du sud-ouest. (15)

            Profitant de l'aide et de la logistique fournies par les tribus alliées de Rome, les Atrébates et les Regnenses, Vespasien attaque successivement les Belgae et les Durotrigues, deux tribus belges extrêmement puissantes et farouches.

            Celles-ci opposent à l'envahisseur romain une résistance terrible et héroïque. Pendant six ans, ce n'est pas moins de trente batailles que Vespasien se voit obligé de livrer pour pouvoir s'emparer de vingt forteresses, avant de contraindre ces deux peuples à la soumission. (16)

            Au passage, grâce à l'appui de la Marine, il attaque et soumet l'Ile Vectis / Ile de Wight. (17)

            En 48-49, alors que la Bretagne a un nouveau gouverneur en la personne d'Ostorius Scapula depuis deux ans, Vespasien prend position à Glevum / Gloucester, endroit stratégique au passage de la rivière Sabrina / Severn, chez les Dobunni. (18)

            Dans le même temps, la Legio IX Hispania s'installe à Lindum, chez les Coritani tandis que la Legio XIV Gemina pousse en profondeur jusqu'à Viroconium, chez les Cornovii. (19)

            La Bretagne est désormais de fait coupée en deux par une ligne transversale qui va de Glevum / Gloucester, au sud-ouest, à Lindum / Lincoln, au nord-est. C'est le long de cette ligne que les Romains font construire la première grande route de Bretagne, longue de 190 km et connue aujourd'hui sous le nom anglais Fosse Way. (20)

            L'objectif et premier rôle de cette route est d'abord de servir de voie expresse militaire et de ligne de démarcation entre la zone romaine au sud et la zone barbare au nord. Elle est jalonnée d'un bout à l'autre de forts et de postes de surveillance dont les plus importants sont les forteresses de légions pour la Legio IX Hispania à Lindum / Lincoln et la Legio II Augusta à Glevum / Gloucester.

            Cette route est elle même reliée au camp de base situé près de la Tamesa / Tamise, Londinium, par d'autres routes perpendiculaires importantes qui existante encore aujourd'hui et qui nous sont connues sous les noms de Ermine Street, Watling Street, etc.

            Avec ce réseau routier, c'est une véritable toile d'araignée que l'autorité romaine est en train de tisser dans le sud de l'Ile.

            Par ailleurs, cela fait déjà six ans que les légions romaines guerroient en Bretagne et que certains des vétérans ont déjà atteint l'âge de la retraite. Pour pouvoir reclasser dans le civil ceux qui ne désirent pas quitter l'Ile, il convient de leur attribuer des biens sur place afin qu'ils puissent assurer eux-mêmes leur existence ainsi que celle de leurs familles. C'est pourquoi, par décret impérial, Claude érige en 49 Camulodunum / Colchester au rang de Première Colonie romaine de Bretagne, sous le nom très honorifique de Colonia Claudia Victrisensis. (21)

Carte des opérations des campagnes des généraux de Claude en Ile de Bretagne,

 dressée par Gillian MORGAN, dans Roman Britain, 55BC-AD409, p 13

La conquête romaine

1. Suétone. Caligula. LVIII.; Claude. II.

2. Suétone; Claude. XVII; Aurelius Victor, Livre des Césars, 4.

3. infra : Guerre contre Caratacos; et chapitre suivant : Boudicca

4. Suétone. Claude. XVII.

5. I.A Richmond, Roman Britain, p 20; P. Salway, Roman Britain, p 73.

6. Dion Cassius; Histoire, LX.19.3;

7. Dion Cassius; Histoire; LX.19.5.

8. Dion Cassius; Histoire, LX.20.2, 20.3, 20.4

9. Pour la poursuite dans les marais et la perte de légionnaires romains : Dion Cassius; Histoire. LX.20.6.

Pour l'attente marquée par Aulus Plautius : Dion Cassius; Histoire. LX.21, 1 et 2. Selon cet auteur, Aulus Plautius craignait d'aller plus avant sans renforts.

10. Dion Cassius; Histoire. LX.21.2.

11. Dion Cassius. Histoire. LX.21.4.

12. Pour le séjour de Claude en Bretagne : Dion Cassius. Histoire. LX.23.1.

Pour le temple : Sénèque. Apocoloquintose. VIII.3; Tacite. Annales. XIV.31.

Pour le cognomem Britannicus : Dion Cassius. Histoire. LX.22.2.

13. Dion Cassius; Histoire. LX.23.2 et suivants.; Suétone. Claude. XVII.

14. Dion Cassius; Histoire. LX. 

15 : I.A Richmond : Roman Britain, p 23.

16 : sur les difficultés rencontrées par Vespasien : Suétone. Vespasien. IV; Dion Cassius. Histoire. LXI.30.1.

17 : Suétone. Vespasien. IV.

18 : La date n'est pas rigoureusement précise. Gloucestershire County Council situe " around AD 50".

19 : Shropshire County Council; envoi du 25 novembre 1982 : "Wroxeter began as a Roman legionary fortress c.48 AD ..."

20 : voir carte par Gillian MORGAN, insérée en fin de chapitre,

21 : voir Encyclopédie; Noms de Lieux : Colchester.

 

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